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Inventaire des pratiques

Accompagnement de mineurs non accompagnés contraints à commettre des délits dans la reconnaissance du statut de victime de traite des êtres humains

Primary GCM Objectives

Principes directeurs du Pacte mondial*

*All practices are to uphold the ten guiding principles of the GCM. This practice particularly exemplifies these listed principles.

Objectifs de développement durable (ODD)

Dates

2021 - 2024

Geographic Scope

Régions:

Locale:

Paris, France

Résumé

Créée en 2004, Hors la rue est une association française qui a pour objet le repérage et l'accompagnement de mineurs étrangers en danger rencontrés en région parisienne. Depuis 2015, la présence de mineurs non accompagnés maghrébins, principalement marocains et algériens, est observée dans les rues de Paris. Ces jeunes sont en situation de poly consommation (mésusage de médicaments, colle sniffée, cannabis), de délinquance et d'errance aggravée. Ils refusent toute prise en charge. En 2017, la Mairie de Paris a mis en place un dispositif qui leur est spécialement dédié avec le renforcement d'une présence éducative en rue ainsi que la mise en place d'une mise à l'abri bas seuil pour travailler avec eux leur adhésion aux prises en charge afin de les orienter a posteriori, vers des structures classiques de la protection de l'enfance.

En 2021, Hors la rue avec une autre association, nommée Aurore, remportent cet appel à projet. Le dispositif ouvre alors en octobre 2021. Dès les premières maraudes sur le parvis du Trocadéro, en face de la Tour Eiffel, notre équipe pluridisciplinaire relève de nombreux indicateurs alimentant des suspicions de traite des êtres humains à des fins de contrainte à commettre des délits : activités délinquantes intensives (vol à l'arraché sur les touristes) sans signe particulier d'enrichissement, consommation des médicaments Rivotril et Lyrica, présence d'adultes autour des jeunes entravant l'accès à ces derniers, violences physiques et verbales, non adhésion aux prises en charge de droit commun...

Entre octobre 2021 et février 2022, Hors la rue signale la situation de 7 jeunes au Parquet des mineurs de Paris. Une enquête est ouverte en mars 2022. 6 hommes algériens, âgés de 23 ans à 38 ans, sont mis en examen pour traite des êtres humains et placés en détention provisoire en juin 2022. 17 mineurs non accompagnés (15 marocains et 2 algériens) sont visés en tant que victimes de traite des humains dans ce dossier. Une administratrice ad hoc est nommée pour les représenter. 12 d'entre eux se constituent parties civiles. Hors la rue se constitue aussi partie civile pour la première fois de son histoire. 2 jeunes sont éloignés de la région parisienne pour être protégés via l'association Koutcha. Un travail considérable est mené par l'ensemble des acteurs autour de ces jeunes pour leur accès à leurs droits ainsi que la conscientisation de leur statut de victime. Entre les 9 au 12 janvier 2024, le procès se tient au Tribunal correctionnel de Paris. La soumission et de l'emprise chimique y ont été centrales : le fait de délivrer des médicaments aux jeunes en vue de les contraindre à commettre des délits a été reconnu comme une stratégie de recrutement permettant de qualifier la traite des êtres humains. Les 6 mis en cause ont été reconnus coupables de traite des êtres humains sur mineurs et condamnés à des peines de 4 à 6 ans d'emprisonnement. Chaque jeune s'est vu octroyé 20 000 euros de dommages et intérêts. Un appel est en cours.

Organisations

Principale(s) organisation(s) de mise en œuvre

Hors la rue, France

Partenaires impliqués

Hors la rue, France

Bénéfice et impact

L'action de notre équipe pluridisciplinaire (éducateurs, médiateur en santé, psychologue, art-thérapeute, chargé de mission de lutte contre la traite des êtres humains) a permis le repérage puis la création de lien de confiance avec ces mineurs en errance et en délinquance intensive. Puis, l'intervention concertée des services de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'aide sociale à l'enfance, des services en addictologie et en polytraumatismes des hôpitaux et enfin, des acteurs de justices (avocats, administrateur ad hoc, service enquêteur, parquet et juge) a permis de protéger ces 12 mineurs parties civiles et des les accompagner dans la reconnaissance de leur statut de victimes de traites des êtres humains à des fin de contraintes à commettre des délits en janvier 2024.

Ce procès marque un précédent en France qui pourra servir de jurisprudence dans d'autres affaires à venir. Il y a eu une importante couverture médiatique de ce procès permettant de sensibiliser le grand public. En mars 2024, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) a publié un avis consultatif sur la contrainte à commettre des délits après une demande trans-partisane de 11 députés français. En juin 2024, Hors la rue a été invitée par la coordinatrice e lutte contre la traite des êtres humains de la Commission européenne pour présenter le dossier Trocadéro à l'ensemble des coordinateurs nationaux de l'Union européenne. Le dossier Trocadéro pourrait servir d'exemple de bonnes pratiques au niveau européen.

Principales leçons

- La visibilisation d’une forme de traite méconnue : la notion de contrainte à commettre des délits :
Nous observons une méconnaissance par les professionnels (police, magistrats, avocat) de cette forme de traite. Pourtant, depuis quelques années, les dossiers se multiplient au niveau national mais aussi européen. Depuis plusieurs années, Hors la rue porte ce sujet auprès des différentes institutions via des actions de plaidoyer afin de visibiliser cette forme de traite et déconstruire les idées reçues qui y sont associés. Nous menons également des actions de sensibilisation et de renforcement des compétences des professionnels au contact de mineurs présumés victimes de TEH afin d’améliorer les connaissances et les pratiques. Ces formations permettent de partager des indicateurs pour améliorer le repérage des situations de TEH et des bonnes pratiques en vue d’améliorer l’accompagnement des victimes. Notre constitution de partie civile lors de ce procès Trocadéro a également permis de visibiliser cette forme de traite.
- Le changement de prisme : écouter les enfants comme des victimes, même quand ils sont aussi délinquants :
Quand les mineurs sont appréhendés sous le prisme « victime », quand les professionnels prennent le temps de les regarder différemment et de leur poser les questions adéquates et pertinentes (conditions de vie/provenance des stup/niveau de conso, violences qu’ils subissent), quand ils les considèrent comme des enfants victimes : les mineurs parlent énormément, et se livrent sur ce qu’ils vivent.
Par exemple, dans le cadre de l’enquête du Trocadéro, les policiers mobilisés ont ainsi pris le temps de préparer des trames d’audition adaptées, se sont formés sur les problématiques d’addiction et avait pour objectif de tisser un lien de confiance avec ces jeunes, en vue de libérer leur parole.
Il y a un fort intérêt à ce que les enfants se sentent écoutés pour la bonne réussite de l’enquête. Ce changement de prisme, permet en effet la libération de la parole, le démantèlement des réseaux et protège de façon effective les mineurs. Aussi, cela permet de diminuer substantiellement la délinquance et donc de réduction le trouble à l’ordre public essentiel. Notre constitution de partie civile lors du procès Trocadéro a également permis de défendre cette approche.
-Améliorer la prise en charge médicale/addicto de ces jeunes : Il existe une véritable carence sur la prise en charge addictologique de ces enfants drogués aux médicaments. Nous avons ainsi développé des partenariats avec des structures addictives et des médecins psychiatre afin de faciliter leur accès au soin, dans une approche de réduction des risques. Nous avons en outre régulièrement mis en lumière les difficultés de prise en charge de ces jeunes sur le volet addictologique lors de réunions institutionnelles et avons organisé une journée d’étude sur le sujet du mésusage des médicaments chez les jeunes en errance. Cette journée a mobilisé plus de 150 professionnels.

Recommandations(if the practice is to be replicated)

Le préalable nécessaire est la formation à la traite des êtres humains à des fins de contrainte à commettre des délits pour l'ensemble des professionnels mobilisés sur la situation de ces jeunes (service enquêteur, juges, parquet, éducateurs). Cette formation inclut certes une maîtrise du cadre juridique mais également une connaissance sur la prise en charge des addictions de ces jeunes.
La coordination des acteurs au niveau national, mais aussi européen (les jeunes étant très mobiles) est aussi essentielle car elle permet d'étayer la présence éducative auprès de ces jeunes souvent fuyants et défiants envers l'adulte et les institutions, d'individualiser les accompagnements pour répondre au mieux à leurs besoins et de tenir des discours communs et construits entre professionnels.
La mise en place de structures adaptées au profil de ces jeunes est indispensable pour pouvoir les prendre en charge convenablement sur l'ensemble des volets de l'accompagnement (soins en addictologie et en poly traumatismes, accompagnement juridique et administratif, accompagnement éducatif et social...). Le jeunes ont besoin d'être stabilisés dans des structures adaptées pour être accompagner dans ce type de procédure pénale.

Innovation

L’accompagnement des mineurs contraints à commettre des délits dans le procès Trocadéro en tant que victimes de traite des êtres humains est innovant car il a permis un changement de paradigme. Souvent perçus comme des délinquants perturbateurs au sein de l’espace public, ces jeunes ont été pour la première fois appréhendés en tant que victimes par les services de police et les services de justice français. Le travail d’accompagnement mené en concertation étroite par l’ensemble des acteurs mobilisés sur les situations de ces jeunes a permis que nombreux d’entre eux puissent se constituer partie civile et être protégés. Le procès Trocadéro a été à la fois satisfaisant sur le volet répression des auteurs et le volet protection des victimes.
Le procès Trocadéro a suscité un vif intérêt des médias français, des acteurs de justice français, des législateurs français, de la Commission européenne ainsi que de l’ensemble des travailleurs sociaux impliqués sur l’accompagnement de jeunes de ce profil. Il contribue à l’évolution de nos pratiques en vue de l’adaptation aux besoins de ces enfants, de leur garantir l’accès à leurs droits et de mobiliser l’ensemble de la société dans cette démarche.

Média

Mésusage des médicaments chez les mineurs précaires - Leila Chaouachi et Catherine Péquart

Mésusage des médicaments chez les mineurs précaires - Leila Chaouachi et Catherine Péquart

Additional Images

Date de soumission:

27 juin 2024

*Toutes les références au Kosovo doivent être comprises dans le contexte de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies.